Au revoir, petit Coussin péteur

Loulou Whiskey runwithurdog

En espace de 10 secondes j’ai basculé entre « ce rêve est bizarre, j’aimerais me réveiller maintenant » et « je pense que ce bruit vient du monde réel ». En espace de 10 secondes j’ai réalisé que quelque chose de grave était en train de se passer, que ma petite Loulou, mon bouledogue français tant aimé était en train de lutter pour de l’air. En espace de 10 secondes j’ai marché en équilibre sur la fine ligne entre le sommeil et l’éveil et j’ai été catapultée sans transition aucune en plein cauchemar. Tout s’est joué en 10 secondes. Le temps que je réalise dans quel monde je me trouve. Le temps que tout mon monde s’effondre.

Loulou Whiskey runwithurdog
Photo credits : Lola Ledoux

Trois heures du matin ou environ. J’avoue ne pas avoir regardé la montre. Une espèce de bruit de fond de plus en plus persistant vient du salon alors que je dors insouciante, ma petite dans son lit, Whiskey au pied du mien. Whiskey réagit en premier, il commence à faire des aller-retours entre le salon et ma chambre, il saute sur le lit, il repart en courant. Mia commence à pleurer face à ce boucan inattendu. Je sors en vitesse dans le salon, j’allume et je vois Loulou allongée par terre, à côté de son pouf, en pleine convulsion.

L’adopter, ça a été un coup de tête. J’ai une personnalité compulsive, lorsque j’ai une idée en tête, c’est difficile de me l’enlever. Je voulais un deuxième chien. Je voulais un berger et plus exactement un berger allemand. Mais la vie a plutôt sorti cette petite créature survoltée dans mon chemin. Le jour où j’ai fait sa connaissance et j’ai appris qu’elle risquait la mort dans un futur très proche, car sa malformation au cœur la rendait incompatible avec la vente et la reproduction a été le jour où je me suis dit que rien n’arrive dans la vie par hasard. Non, je ne prendrai pas un BA, mais cette petite condamnée. Et je ferai en sorte que tous les jours qui lui restent soient heureux et pleins d’amour.

Loulou runwithurdog deuil
Photo credits Lola Ledoux

Dans le salon, la lumière jaune me grille la rétine. Je vois Whiskey in train de perdre les pédales, il sait que ce qui se passe n’est pas normal, il sait que c’est grave, il a l’air de le savoir en tout cas. Mais il ne sait pas quoi faire et moi non plus. J’enlève d’un seul geste le pouf, pousse la table basse de côté et je me mets à genoux à côté d’elle. Ce bruit, je l’ai déjà entendu plein de fois, ce bruit m’a déjà réveillée en pleine nuit à d’autres occasion, mais là il sonne différemment. Il est plus fort, plus violent, il me prend aux tripes et j’essaie tant bien que mal de me rappeler des gestes de premier secours que j’ai appris à cette formation Humanimals qu’on avait fait ensemble, ma petite Loulou et moi.

Mes mains tremblent. Mon corps entier tremble. J’ai comme un voile épais devant les yeux. Mon spectre visuel devient étroit, très étroit. J’ai l’impression de voir en noir et blanc. Je me concentre, j’essaie de m’apaiser en me disant que si je n’y arrive pas, je ne pourrai rien faire, que je vais m’en vouloir pour le reste de ma vie. J’essaie de faire abstraction des pleurs du bébé. De la course incessante de Whiskey, qui, pris par la panique m’apporte tous ses jouets, des pantoufles et des vêtements qu’il trouve dans la maison, pour aider à sa manière. Je n’ai pas le réflexe de le mettre dans une autre pièce tout de suite, je suis moi-même en train de paniquer malgré tous les efforts. Mon chéri est en déplacement ce jour, je dois gérer cette situation de crise en tant que seul adulte et je suis complètement perdue. Je me sens tout sauf adulte.

Je me souviens du moment où Loulou et Whiskey se sont rencontrés pour la première fois. Lui, qui est déjà si réactif avec les chiens, il a un seul ami, un petit Spitz nain qu’il a connu lorsqu’il était bébé. Sinon, il attaque sans discriminer tous les chiens qu’il croise. J’ai Loulou dans les bras et je la tiens hors de sa portée, je lui montre ce bébé tellement enthousiaste à l’idée de jouer avec un nouveau copain qu’elle s’agite comme une toupie dans mes bras. Il grogne et lui montre toute la panoplie de ses belles dents blanches. J’ai peur pour cette petite chose. Je parle calmement à Whiskey et lui dit « tu laisses » lorsque je la pose par terre. C’est elle qui ne le laisse plus. Elle bondit vers lui avec toute sa jeune énergie et l’invite à jouer, fesses en l’air, en remuant son petit moignon de queue. Il est perplexe pendant quelques secondes et après, je suis surprise de le voir galoper avec elle dans tout le jardin. Adoptée en 10 secondes grâce à son tempérament de feu. Et la vie de Whiskey a changé à tout jamais.

Le jour où le voisin d’à côté me l’a ramenée dans les bras en me disant qu’il a été « un peu brusque avec elle » parce qu’elle est passée dans son jardin et il n’a pas apprécié, je ne m’attendais pas à ce que ça veuille dire qu’il lui avait cassé le coude à 2 endroits. Elle n’avait que 4 mois. La clôture du jardin ne résistait pas à sa force brute. Elle passait en vitesse en dessous. Le voisin était en pleine séparation et en plein alcoolisme. Il s’est défoulé sur un petit chiot. Un vrai dur… J’ai senti mes yeux se remplir de larmes et mon cœur de colère lorsque le vétérinaire nous donnait le diagnostique. Une opération compliquée et plus de 2000€ plus tard, j’avais un chiot qui risquait de boiter à vie. Mais qui ne se plaignait pas. Qui n’a même pas pleuré, alors que la douleur devait être atroce.

Loulou Whiskey runwithurdog
Photo credits : Lola Ledoux

Ce n’était pas une douillette, ma Loulou. Donc quand je l’ai entendu couiner cette nuit-là, j’ai su que c’était grave, très grave. Son petit corps m’a semblé d’un coup si faible. Elle, ma petite molossoïde qui poussait les portes jusqu’à faire sauter les loquets. Je l’ai prise dans les bras. Je me suis demandée si elle n’avait pas avalé un truc, elle avait l’habitude de gober tout ce qu’elle trouvait intéressant par terre. Je lui ai sortie de la bouche une quantité impressionnante de bouchons de vin, de bouts de jouets déchiquetés, de chaussettes ou autres objets qui n’y avaient pas leur place. Je j’ai prise sur mon genoux, dos contre ma poitrine et j’ai essayé de lui faire expulser l’éventuelle chose qu’elle aurait eu dans la gueule. Il n’y avait rien. Les spasmes se sont accélérés, sa respiration aussi, le rythme de son petit cœur était si fort que ça me faisait une peur bleue.

« Appelles quelqu’un, il faut que tu appelles quelqu’un » me criait une voix dans la tête. Où était mon téléphone ? SOS pets ? SOS médecins ? SOS… SOS… C’est là que je me suit dit qu’il fallait que j’épargne ce spectacle à Whiskey. Enfin, mon cerveau avait pu relier ces deux informations. Parce que, je vous avoue, sans vous présenter le gore de la situation, mais ça a été une scène dure à voir. J’en rêve la nuit, je suis encore prise de panique le jour, quand quelque chose me rappelle un moment que j’ai vécu cette nuit-là. Un bruit, une odeur.  Surtout cette odeur inexplicable qui ne quittera jamais mes nerfs olfactifs. Je ne sais pas comment j’ai mis Whiskey dehors. Ni comment je me suis retrouvée avec mon téléphone dans la main à côté d’elle à essayer de me rappeler qui je devais appeler. J’ai juste vu son corps se relâcher, dans une sorte d’abandon. Elle me laissait tomber. Elle jetait l’éponge, elle qui ne lâchait jamais quoi que ce soit. Ce n’est  pas pour rien qu’on parle d’un caractère de bouledogue, ce sont des acharnés. Et elle était en train de lâcher prise.

Je l’ai couché sur le coté droit, j’ai essayé de prendre son poux à la jugulaire. Mes mains tremblaient si fort que je ne sentais que mon propre poux. Je me suis rappelée qu’il valait mieux le prendre en dessous de sa cuisse, en appuyant sur l’artère avec l’index et le majeur, sans toucher avec le pouce. Rien. Rien ? Je n’arrive plus à respirer. Je la tourne sur le dos, elle se laisse faire comme une poupée en chiffon. Je ferme son museau dans le creux de mes mains et j’essaie de lui apporter de l’oxygène en soufflant 5 fois dans ses petites narines. C’était 5 ou 3 ? Je ne me souviens plus. Je commence à faire des compressions rapides et régulières, 30 ou plus, je ne sais plus compter, de toute façon. Entre les compressions, je souffle encore dans ses narines. Je ne sais pas si j’ai cassé des côtes, j’étais dans un état second pendant tout ce temps. J’espère que je ne lui ai pas infligé plus de douleur qu’elle ne subissait déjà…

Je ne sais pas combien de fois je l’ai fait. Mes bras étaient tétanisés, je cherchais un poux, même faible, un battement de son petit cœur. Rien. J’ai été inefficace, inutile. J’ai arrêté quand j’ai entendu Whiskey pleurer derrière la porte, désespéré. J’ai pris le petit corps dans les bras, elle était inerte. J’ai caché mon visage dans son coup et j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps.

J’ai laissé Whiskey la voir, la renifler, j’avais lu quelque part que c’est bien qu’ils puissent se dire au revoir pour pouvoir comprendre ce qui se passe. Il n’avait pas l’air de comprendre. Il a continué ses aller-retours hyperactifs dans toute la maison, autour de nous. J’étais assise par terre, démunie, dépitée, lessivée. Le bébé pleurait de manière plus constante, désormais, elle était fatiguée aussi. Je me suis dit que j’étais une mauvaise mère, en plus d’être une pitre maîtresse.

Loulou Whiskey runwithurdog
Photo credits : Lola Ledoux

Une fois que tout était fini, ma petite endormie à nouveau, je me suis assise à côté de Whiskey. Il avait un air grave. Il avait essayé de sortir le corps de la serviette immaculée dans lequel je l’avais enroulé. Puis pleuré et aboyé à la porte quand je l’ai sorti dans le jardin. Il était épuisé. Je lui ai longuement parlé. Je lui ai expliqué ce qui venait de nous arriver et que je n’avais moi-même encore bien compris. Il m’écoutait, absent. Il a poussé un soupir et j’ai fait de même. J’avais en tête plein d’images de ma Loulou pleine de vie, en train de faire le tour du jardin à pleine vitesse avec le frisbee de Whiskey dans les dents, en le narguant et l’invitant à la suivre. Ma Loulou qui se collait contre moi dans le canapé et faisait des énormes siestes. Ma Loulou qui attendait que je finisse de couper une tomate pour réclamer un bout.  Ma Loulou avec laquelle nous venions de filmer un reportage pour Les animaux de la 8 deux jours auparavant. Ma Loulou à moi…

Je suis encore secouée. Je savais dès le premier jour que sa vie risquait d’être courte. Mais lorsqu’on a devant soi un animal en pleine forme, on se dit qu’elle vivra probablement 10 ans au lieu de 15. On ne se dit jamais qu’elle va en vivre que 4, même lorsqu’on vit avec une épée de Dalmoxes au dessus de la tête en permanence. La culpabilité de n’avoir pu rien faire est remplacée par de la colère contre moi même. Mais, après tout, je me dis que j’ai essayé. Je le vivrais encore plus mal si je n’avais rien fait.

La douleur est vive. C’est dur d’expliquer ce qu’on peut ressentir et je tiens à remercier de tout cœur à ceux qui m’ont envoyé des messages, qui ont laissé des commentaires, qui sont venus me voir au Paris Animal Show. Je ne sais pas si vous avez une petite idée du bien que ça fait de se sentir compris, lorsqu’on passe par une expérience comme celle-ci. Beaucoup m’ont raconté leurs histoires, les animaux qu’ils ont connus et perdus, on se sent tellement proches de ceux qui ont souffert comme nous. Le pouvoir de guérison de la communauté est inestimable. Merci, vraiment, merci pour tous vos gentils mots et encouragements.

Je ne sais pas ce qui va suivre. Je vois mal ma vie sans elle. Sans ses câlins, sa douceur avec les enfants, avec ma fille surtout. Ma fille ne va pas grandir avec sa copine qui se laissait attraper les oreilles et donnait en retour des léchouilles gratuites. La douleur sera toujours là, je le sais. Même si elle a été heureuse, épanouie et même gâtée, diraient certains. Oui, je l’ai chouchoutée plus que je l’ai fait avec Whiskey, elle était, après tout, condamnée d’entrée de jeu. Elle a subit un accident grave en étant un tout petit chiot. Je ne pouvais pas être bien ferme avec elle, même en m’efforçant. J’ai fait des erreurs d’éducation, des différences entre les deux. J’ai plutôt appris à Whiskey à lui laisser ce qu’elle voulait, que de les laisser régler leurs propres affaires entre chiens. Je n’ai pas de regret, mais si c’était à refaire, je ne sais pas si je me lancerait à nouveau dans tout ça.

Lorsqu’on adopte un chien condamné, on ne sait pas à quoi s’attendre et même si au niveau rationnel on en est toujours conscient, au niveau émotionnel on est loin d’appréhender ce que ça pourrait représenter. Son petit cœur méritait mieux que ça. Celui de Whiskey aussi. C’est pour lui que ça a l’air d’être le plus dur. Surtout qu’il n’a jamais été seul de sa vie. Il a toujours eu un compagnon, ne serais-ce qu’un chat. Et elle était sa seule amie. J’ai de la peine pour mon pauvre chien resté derrière.

Si vous avez vécu vous-même la perte d’un animal, n’hésitez pas à partager. Ça fait du bien.  Parce que ça prend 10 secondes pour changer une vie à tout jamais, Loulou me l’a prouvé.

Au revoir, mon petit Coussin péteur, j’espère que les nuages sont bien confortables pour que tu puisses faire de bonnes siestes dessus et qu’ils ont plein de friandises à te donner au Paradis des toutous.

Andreea

 

8 commentaires sur “Au revoir, petit Coussin péteur

  1. Oui c est trés dur de perdre son animal de compagnie, j au perdu, en 2017, ma louloute c était un Epagneul breton, têtu mais je l aimai quand même.
    Elle était pleine d énergie mais le dernier jour de sa vie, elle ne mangait plus, chose anormal avec elle, elle qui était si gourmande, si pleine de vie, mais toute belle histoire à un fin malheuresement, elle avait presque 15 ans (les reins ont lachés). C était moins brutal que vous, mais ça reste douloureux. Heureuseument que j ai mon chat pour m aider dans ma tristesse, parce que oui j en pleure toujours.
    Donc je vous comprends, et je vous donne un peu de soleil du sud pour donner un peu de chaleur. Et je vous soutiens.
    Votre histoire ma beaucoup émue.
    Bon courage pour la suite.

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  2. Tu m’as bouleversée. Parce que j’aime mes fifilles autant que les membres de la famille à deux pattes. Parce que j’ai connu ces deuils qui selon une étude seraient encore plus durs que lorsqu’on perd un proche parce qu’on n’ose pas, parce que l’autre ne comprend pas. Parce que ma Boulette n’a que 5 mois mais je l’aime déjà follement. Parce que la relation que tu décris entre Whiskey et Loulou est tellement semblable à celle de Queen et Zitoune où la grosse mémère devient une pâte devant la minuscule furie. Parce que Loulou ressemble tellement à ma Zitoune.
    Elles traversent nos vies et y restent à jamais quel que soit le temps que notre amour dure. ❤

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  3. Je suis terriblement désolée pour toi.

    Je ne sais pas si tu vas te souvenir de moi, je vous avais rencontré à l’extérieur de la formation de Humanimal, on était rentrée ensemble et j’étais à côté de toi, de vous, tout le long de la formation. J’avais d’ailleurs passé un excellent moment avec ta petite Loulou, qui n’était pas très commode avec les autres chiens, mais je garde un excellent souvenir d’elle.

    Je ne sais que trop bien ce que c’est de perdre un animal, surtout ceux qu’on chéri comme tu chéri les tiens. Je partageais ta peine, et je la partage encore actuellement, quelques mois plutôt avec mon chat de onze ans. Sache que tu as fait ce qu’il fallait, même si ça n’a pas aboutit à ce que tu voulais, tu as fait tout ce qui était en ton pouvoir malgré la situation bouleversante et traumatisante que tu traversais à ce moment-là, tu as essayé, et je pense que ça va t’aider à avancer, passer à travers tout ça.

    Je ne sais pas si mes mots te seront réconfortant, mais je voulais te dire que j’étais désolée et que tu avais bien agi et qu’il ne fallait pas t’en vouloir pour ça.

    Courage à toi et à toute ta famille.

    Célia.

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    1. Bonjour, je découvre à l’instant votre texte… J ai les yeux remplis de larmes… Votre texte si fort de votre désespoir, de vos questionnements, de vos regrets ou craintes de n avoir pas bien fait. Vous avez très certainement fait du mieux que vous pouviez à ce moment là… La maladie « avait décidé » de l emporter cette nuit là…. Ce que vous avez vécu est très dur & douloureux. Mais surtout au travers de votre texte, transparaît tout l amour que vous lui portiez et lui portez très certainement aujourd’hui encore, ainsi que tout cet amour inconditionnel qu elle vous donnait à son tour. Et puis sa relation avec votre fille, ainsi que ce lien qui l unissait à Whiskey… Quelqu un a dit que les animaux ne nous rendaient jamais tristes à la différence des êtres humains, à l exception d une seule fois… celle où ils passent de l autre côté de l horizon… Son départ est encore très frais, cependant souvenez vous toujours de la magie de votre rencontre, du bonheur partagé pendant ces 4 années. Je crois que ce qui aide à continuer à vivre, ou à survivre devrais-je dire, au delà de cette terrible douleur, c est de pouvoir remercier la vie d avoir mis nos amours sur notre chemin. Si c était à refaire… En tout cas vous avez eu la force et le courage de le faire & ça c est le plus important. Souvenez-vous et nourrissez vous de tous les moments partagés ensemble… Quelque part, elle continue à vivre à travers vos pensées et votre amour pour elle. Que votre petite Loulou repose en paix… Je vous envoie plein de lumière & vous souhaite du courage

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